Opiacé-Bylron, Céline Citronrouge
Textes

Opiacé-Bylron

(prononcez opiacé-baïlronne)

Opiacé-Bylron était un jeune homme, Opiacé-Bylron était une jeune femme, Opiacé n’était rien ou les deux à la fois et ne pouvait se résoudre à choisir. Son corps fuselé, parfaitement glabre, aux allures androgynes, lui permettait à sa guise d’être femme ou homme, femme et homme. Opiacé opérait, la nuit, comme danseur dans un cabaret exotique, officieusement l’un des derniers bordels de luxe clandestins tolérés à l’orée de la ville.

Curiosité des plus sollicitées tant pour son extravagance que son raffinement, on s’y prenait tôt pour réserver une soirée, une danse, quelques heures, comme on réservait sa table au dernier troquet huppé. Le voir onduler en corset et résilles, perché sur des talons aiguilles était, à ce que l’on dit, un délice pour les yeux. Et si vous étiez fin connaisseur et habitué, un extra, à discrétion, vous était offert.

En journée, le jeune prostitué s’adonnait à une toute autre forme d’art ; modèle nu pour artiste quadragénaire, veuve et excentrique, tombée en pâmoison devant la silhouette du bel éphèbe. L’atelier grouillait de créatures étonnantes ; velours laiteux, velours d’ébène, bouches humides, croupes, seins, sexes féminins, masculins, indéterminés, indéterminables. Véritable Eden interdit et royaume des chairs et des peaux exhibées, souvent dans la plus grande indécence, aux yeux de tout convive. Et parmi tout ce bric à brac charnel esquissé sur de grandes toiles à peindre ou bien réel, se pavanaient au grès des pièces, quelques volatiles colorés aux plumages de lave en fusion sur fond d’azur.

Idole parmi les idoles jusqu’au sein de ce temple dédié à la beauté, Opiacé avait pour privilège de voir siéger, avec humour et en véritable prince des lieux, une version agrandie et particulièrement détaillée de son fessier, sur la voûte majeure qui délimitait l’entrée de l’atelier, dans la petite cour intérieure. Un passage discret pour pèlerin avertit vers un monde riche en découvertes et plaisirs.

En de plus rares occasions, enfin, le temps d’un week-end ou d’un court séjour, il cultivait un goût certain pour les costumes et rôles insolites en tout genre ; dame de compagnie pour vieillards fortunés, précepteur pour plus si jeunes filles de bonne famille peu farouches, marin d’état en permission pour hommes d’affaires ayant une inclinaison prononcée pour les aventures extraconjugales ou encore secrétaire stagiaire pour auteure à succès en mal d’inspiration. Toute invitation suffisamment distrayante rencontrait peu de risques de se voir déclinée.

Mais en illustre courtisane et galant, dont le sobriquet revêtait désormais des sonorités quasi légendaires, et qu’il fallait immanquablement solliciter à défiler dans ses parties privées et autres cérémonies mondaines pour être au cœur des conversations et jalousies, d’aucun ne connaissait, cependant, précisément son âge ni son nom. Moins encore, de quelle région du pays il était originaire et les motifs qui l’avaient amenés à s’établir dans la métropole.

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