Litanie d'un profane, Céline Citronrouge
Textes

Litanie d’un profane

J’entendis un hurlement de sirène, de ceux qui vous glacent le sang et dont il est vain vouloir échapper. Je songeais, en premier lieu, à une fourberie de l’esprit, une hallucination auditive. Puis un mauvais tour de Dame nature, quand les bourrasques d’un vent furieux s’engouffrent dans les habitations, interprétant toute une panoplie de notes stridentes, sifflements et claquements. La nuit tombée la tempête nous encerclait, et le ciel zébré de faisceaux émeraudes phosphorescents disparates prenait des apparences de fin du monde. Inquiété par les réitérations successives de ce que je percevais comme un chant funeste prémonitoire, j’insistais à plusieurs reprises. Mes camarades de chambrée nièrent pourtant fermement entendre un quelconque gémissement. J’avais en tête la marche funèbre de Chopin, parfaitement appropriée à l’étrange atmosphère menaçante dans laquelle nous baignions, quand je l’aperçus au fond de la pièce, loin de l’âtre où nous étions regroupés pour nous réchauffer.

– Là ! Criais-je subitement, le doigt pointé en direction de la silhouette sombre et vaporeuse qui venait doucement à moi.

Je me heurtai, une fois encore, aux visages sceptiques et interrogateurs de mes collègues, qui, incommodés par mes sollicitations, préférèrent finalement m’abandonner avec elle. Et je compris rapidement que j’étais seul à discerner sa présence.

Je l’imaginais tout droit sortie des Mélodies de la mer (1) telle que je l’avais invoquée face à la toile. Mais l’icône défraîchie relevait plus de la goule chétive et du cadavre putride que de la délicate et charmante créature mythique. Son regard vitreux et ses iris laiteuses, que je devinais autrefois d’un beau vert amande, siégeaient en maîtresses, usées par le temps, sur des pommettes saillantes, presque tranchantes, vaguement camouflées sous quelques mèches poisseuses qui n’avaient plus rien de la cascade dorée, coulant généreusement de ses épaules aux reins. Ses seins, vides et flasques, ondulaient sur les os proéminents de sa cage thoracique famélique et son jupon opaline, maculé et déchiré, agitait des lambeaux de mousseline évoquant le flot sinistre des algues mortes. Enfin son teint de porcelaine,  marbré d’un gris olive maladif, rappelait la mort et les moisissures comme les prémices d’une décomposition déjà entamée.

Il me fallut faire preuve d’un sang-froid inébranlable, dont je ne me soupçonnais pas capable, pour ne pas fléchir nerveusement sous l’horreur de la vision qui s’offrait à moi, couplée à l’odeur nauséabonde insoutenable imprégnant l’endroit. Elle disparut subitement pour réapparaître derrière moi, ses bras osseux et gluants noués amoureusement autour de mon cou. Et j’entrevis, brièvement à la lueur du feu, une langue noire baveuse balayer un sourire édenté horrible, effrayant, avant de couler le long de ma nuque qu’elle lécha avec un plaisir et une appétence non dissimulés. Un frisson atroce de dégoût, que je ne pus cacher, gagna mon corps tout entier.

«Nous et les morts nous allons vite» (2) furent les mots qu’elle chuchota avant que n’y tenant plus, je cède à l’évanouissement.

(1) Mélodies de la mer, Herbert James Draper, 1904
(2) Lénore, Gottfried August Bürger, 1773-74


Photo couverture : Mélodies de la mer, Herbert James Draper

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